Illia Djadi : « Afrique la crise oubliée »
Alors que les dirigeants africains se réunissaient récemment à Addis-Abeba pour le sommet de l’Union africaine, le continent est englouti dans une crise sécuritaire croissante qui passe presque inaperçue dans les médias occidentaux. Du Sahel au Soudan, la violence, les insurrections et l’instabilité poussent des millions de personnes au bord du gouffre. C’est une situation que l’Occident ne peut plus se permettre d’ignorer non seulement par devoir moral, mais aussi par intérêt stratégique à long terme. Analyse d’Illia Djadi, membre du leadership de FOMECAF et analyste sénior pour l’ONG Portes Ouvertes à Londres.
Une escalade alarmante de la violence
La propagation des conflits à travers l’Afrique a atteint des proportions inquiétantes. L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale sont devenues des foyers de violence, avec une hausse marquée des insurrections islamistes et des activités terroristes. Le Sahel est désormais le nouvel épicentre du terrorisme mondial, les groupes djihadistes profitant de la faiblesse des États, des frontières poreuses et des griefs locaux pour étendre leur influence. Des pays comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont en pleine tourmente, les civils subissant le poids de la violence.
Des crises humanitaires ignorées
Cette montée des conflits a déclenché des crises humanitaires dévastatrices, notamment au Nigeria, au Soudan et en République démocratique du Congo. Des millions de personnes sont déplacées, des milliers ont été tuées dans des conflits brutaux. Les camps de réfugiés débordent, les violations des droits humains sont omniprésentes, et les organisations d’aide humanitaire sont dépassées par l’ampleur des besoins. Pourtant, malgré cette souffrance humaine immense, la crise ne figure guère sur le radar des décideurs occidentaux.
Des millions de personnes sont déplacées, des milliers ont été tuées dans des conflits brutaux. Les camps de réfugiés débordent, les violations des droits humains sont omniprésentes, et les organisations d’aide humanitaire sont dépassées par l’ampleur des besoins. Pourtant, malgré cette souffrance humaine immense, la crise ne figure guère sur le radar des décideurs occidentaux.
Illia Djadi
Les racines profondes de l’instabilité
Au cœur de cette instabilité se trouvent la mauvaise gouvernance et la fragilité des États. Partout sur le continent, des gouvernements faibles sont incapables de fournir des services de base ou d’assurer la sécurité de leurs populations. La corruption, les luttes politiques internes et l’érosion des normes démocratiques ont rendu les citoyens vulnérables et désabusés. Ce vide de gouvernance a permis aux groupes insurgés de s’implanter, exploitant les frustrations locales pour recruter et étendre leur emprise.
Lorsque l’extrémisme islamiste a pris pied en Syrie et en Irak à partir de 2013, l’Occident a réagi rapidement et avec détermination. Aujourd’hui, alors que des califats islamistes s’établissent en Afrique, il semble y avoir peu d’empressement à intervenir pour les empêcher.
Et maintenant, une inquiétude supplémentaire se profile. Les États-Unis, par exemple, ont laissé entendre qu’ils pourraient réduire l’assistance de l’USAID. Ce serait catastrophique pour des millions de personnes vulnérables. L’aide humanitaire ne sauve pas seulement des vies, elle aide à stabiliser les régions fragiles en offrant éducation, soins de santé et sécurité alimentaire des outils essentiels pour prévenir la radicalisation. Sans ce soutien, le risque d’extrémisme violent augmentera considérablement.

Soldats maliens à Gao en 2013
L’importance d’une réponse occidentale proactive
L’Occident doit reconnaître que la crise africaine n’est pas secondaire à d’autres, comme les guerres en Ukraine et à Gaza—elle a des implications directes pour la sécurité et la stabilité mondiales. L’instabilité en Afrique alimente les réseaux de trafic humain et de drogue qui mènent souvent directement à l’Europe. De plus, à mesure que la violence pousse davantage de personnes à quitter leur foyer, les pressions migratoires sur l’Europe augmenteront inévitablement. Ignorer les causes profondes de ces crises ne fera que créer une nouvelle vague migratoire, que les gouvernements occidentaux tentent désespérément de maîtriser.
L’Occident doit aller au-delà de la rhétorique et s’engager dans des partenariats à long terme qui renforcent les initiatives africaines visant à résoudre les défis en matière de sécurité, de gouvernance et de développement.
Illia Djadi
Il existe encore une opportunité pour un engagement significatif. Le sommet de l’Union africaine offre une plateforme pour que les dirigeants africains tracent un chemin vers la paix et la stabilité, mais ils ne peuvent réussir sans soutien international. L’Occident doit aller au-delà de la rhétorique et s’engager dans des partenariats à long terme qui renforcent les initiatives africaines visant à résoudre les défis en matière de sécurité, de gouvernance et de développement.
Vers une stratégie globale et inclusive
Une stratégie globale est urgemment nécessaire, incluant un engagement diplomatique, une aide au développement et une assistance en matière de sécurité. L’Occident devrait investir dans le renforcement des institutions, soutenir les transitions démocratiques et promouvoir une croissance économique inclusive. Il est tout aussi crucial de s’engager à résoudre les causes profondes des conflits, telles que la pauvreté, les inégalités et le changement climatique.
Ignorer la crise en Afrique n’est plus une option. Le coût de l’inaction se mesurera non seulement en souffrances humaines, mais aussi en instabilité mondiale. L’Occident doit saisir cette chance de soutenir des solutions africaines aux problèmes africains. Une Afrique stable et prospère est dans l’intérêt de tous.
En regardant vers l’avenir, il est essentiel de réfléchir à la manière dont chacun peut contribuer. Soutenir des organisations humanitaires fiables, plaider pour le maintien de l’aide internationale et rester informé de la situation sont des actions concrètes qui peuvent conduire à un changement positif. Aborder ces défis n’est pas seulement une question d’aider l’Afrique c’est œuvrer pour un monde plus sûr et plus équitable pour tous.
Texte librement inspiré de son original en anglais paru le 19 février 2025 dans les colonnes de « The Tablet » sous le titre « The forgotten crises in Africa » avec remerciements.